En demandant la suppression des droits d'auteur pour assurer le respect du « droit aux machines d'apprendre » le président de Microsoft décide, selon Vincent Lorphelin, de promouvoir l'IA plutôt que l'intelligence humaine.
Brad Smith, président de Microsoft, est en train de commettre une faute morale contre la société. En parlant de l'IA générative comme ChatGPT, il dit : « Nous avons tous le droit, en vertu de la loi sur le droit d'auteur, de lire et d'apprendre. Nous nous demandons maintenant si nous pouvons permettre aux machines d'apprendre de la même manière. Je pense qu'il y a un impératif sociétal pour rendre cela possible. »
Cette intervention peut sembler anodine. Après tout, si les machines absorbent internet pour créer des articles et illustrations à un prix dérisoire, pourquoi s'en priver ? Le New York Times et d'autres ayant-droits, qui s'opposent à cette utilisation de leur contenu, ne font-ils pas un mauvais procès à Microsoft ? Si les machines ne font pas de plagiat, où est le mal ? Celui-ci est dans la finalité inacceptable de ce discours.
Un flou judiciaire avantageux
On le sait, les plateformes des GAFAM moissonnent une masse de petites contributions et promeuvent le travail gratuit. Elles changent encore de dimension avec l'IA, dont la voracité nécessite la conquête de nouveaux territoires, ceux des auteurs.
Par exception, le législateur avait défini le « fair use » pour autoriser Google à publier des extraits de contenus privés. Comme le résultat judiciaire est encore incertain, l'ancien avocat Brad Smith sait que l'opinion publique jouera un grand rôle. C'est pourquoi il distille l'image mentale frelatée du « droit aux machines d'apprendre ». Son « impératif sociétal » n'est qu'une vulgaire contestation de la légitimité des auteurs à défendre leurs territoires.
Il détourne l'attention en débattant de questions faussement éthiques. L'intelligence humaine est-elle condamnée à être déclassée ? Peut-on laisser l'IA prendre des décisions ? Il a beau adopter la posture du sage face à un Elon Musk moins policé, ils sont tous les deux les augures de la même illusion : celle du dépassement de l'intelligence humaine.
IA : une illusion de supériorité ?
Le meilleur roman ne remplacera jamais l'expérience de la vie. La meilleure «visio» ne se substituera jamais à une vraie rencontre. Aussi perfectionné soit-il, le modèle n'est pas le réel. Chacun de nous a une intelligence du monde qui dépassera toujours celle des machines, qui n'ont d'intelligence que celle de ses modèles.
Les IA éclairent notre intelligence . Elles permettent à la police de l'environnement de détecter les pollueurs, à l'enseignant de comprendre les difficultés de mille élèves, ou au laboratoire d'anticiper les effets d'un médicament.
Répandre l'illusion de la supériorité prochaine des machines est irresponsable. C'est nier le travail strictement humain, qui puise justement son inspiration entre le monde et ses modèles, lorsque l'artiste révèle un non-dit, lorsque le conducteur compense des manettes qui répondent mal, lorsque le médecin doute d'un diagnostic trop évident, ou lorsque le juge se fait une conviction intime.
La défense des auteurs
Nourrir l'illusion d'une compétition entre intelligences et attribuer des droits humains aux machines est une faute contre la société. Il faut affirmer au contraire la prééminence de l'intelligence humaine et garantir l'intégrité de ses territoires.
L'illusion de Brad Smith n'aurait pas de gravité si elle n'était le fait du leader mondial de l'IA. Gagnée par cette illusion, la Commission Interministérielle de l'IA, qui vient de remettre son rapport à Emmanuel Macron, affirme que les machines dépasseront les humains. Elle défend, heureusement, la juste rémunération de la création humaine, mais sans se rendre compte que c'est l'appréciation même de cette justesse qui est manipulée.
L'Europe a déjà décidé avec l'AI ACT de protéger les droits d'auteur. Elle doit maintenant établir le cadastre des territoires exploités par les IA et défendre leur loyer. Il revient à la France, à commencer par la mission que vient de lancer Rachida Dati , Ministre de la Culture, de trouver l'équation qui développera ensemble IA et droits d'auteurs. Notre collectif s'engage aussi à utiliser un brevet essentiel à l'IA générative, dont nous sommes les ayant-droits, pour mettre notre grain de sable dans la machine infernale de Brad Smith.